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Le mal et le moindre mal

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2277 18 avril 2025

L’armée est un mal nécessaire,
il ne faut oublier ni le mal, ni la nécessité.

(Marcel Regamey)

 

Qu’est-ce qui caractérise les antimilitaristes dont nous parlions il y a quinze jours? Serait-ce le manque d’imagination, qui les rend incapables de se représenter, en temps de paix, la possibilité d’une guerre? Cela expliquerait qu’ils passent instantanément des déclarations les plus lénifiantes aux discours les plus martiaux quand la menace prend corps. Serait-ce le primat de la sensibilité sur la raison, qui les enferme dans l’immédiateté du sentiment et les empêche de prévoir une politique à long terme? Serait-ce leur foi dans le progrès général du monde? De tout un peu, sans doute.

Mais la différence fondamentale entre les partisans de la défense nationale et ses adversaires provient de la représentation que les uns et les autres se font du mal dans le monde. Pour les premiers, le mal est un donné permanent, avec lequel il faut composer. Ils font la part du feu pour éviter l’incendie. C’est ce qu’on appelle le «moindre mal». Pour les autres, la présence du mal est due aux insuffisances de l’organisation sociale. L’Etat a pour fonction de parfaire cette organisation, et donc d’évacuer le mal, en éduquant la population, en rationalisant, en légiférant.

Pour les uns, on combat la violence brute, dans les rues et aux frontières, par la violence domestiquée des institutions – police, tribunaux, prison, armée: l’usage de la force, clarifié et cadré par la loi, constitue une réponse adéquate à la violence sauvage. Le but n’est pas d’éradiquer le mal, mais de le contenir: l’armée dissuade l’agresseur ou s’efforce de le repousser; le policier circonscrit le désordre; la prison exclut le criminel de la société. On se suffit d’une paix relative et provisoire.

Pour les autres, cette distinction entre la violence légitime de l’Etat et la violence illégale n’est pas pertinente. La première ne diminue pas la seconde, elle s’y ajoute et l’aggrave. L’armée crée les conditions de la guerre, la seule existence de la police est une provocation à l’émeute, la prison enfonce le délinquant dans sa délinquance. Ils pensent même que la violence spontanée des casseurs est au fond plus humaine que la violence maîtrisée de la police.

A leurs yeux, limiter le mal et ses effets est insuffisant. Ce qu’il faut, c’est une paix complète et définitive. Le mal est une hydre de Lerne dont il faut écraser une à une les multiples têtes, de l’avion de combat à l’arme du policier lausannois, des «discours de haine» aux hiérarchies de toutes sortes, de la prison à la fessée parentale.

Seulement, voilà, les têtes de l’hydre ne cessent de repousser, tout aussi nombreuses, peut-être plus. Le mal chassé par la porte revient par la cheminée. Physique, moral ou spirituel, causé ou subi, individuel ou collectif, il reste partout à l’œuvre. Malgré les démonstrations les plus convaincantes de la supériorité du bien, malgré l’imagination des législateurs, les progrès des méthodes pédagogiques et des techniques de sensibilisation, le mal trouve toujours un chemin. Aujourd’hui comme hier, le mal est plus facile, plus rapide, plus séduisant.

On a rejeté la morale traditionnelle parce qu’elle engendrait l’hypocrisie, l’esprit de jugement et le sentiment vaniteux de sa propre vertu. La critique n’était certes pas totalement injustifiée. Mais les nouvelles morales qui s’y sont substituées, pacifiste, antiraciste et décoloniale, antisexiste, climatique, anticapitaliste, engendrent exactement les mêmes vices. La démocratie moderne suscite, au moins autant que les régimes qu’elle a remplacés, la soif de pouvoir et les abus qui en découlent, la corruption, les mensonges, les coups d’Etat et les guerres. Elle inspire les mêmes ambitieux, les mêmes profiteurs, les mêmes petits chefs. Tout change, mais rien ne change. Le mal est toujours là, qui surgit et ressurgit là où on ne l’attendait pas, collant à nos basques, imprégnant nos cœurs, dévoyant nos pensées. Il y a un mystère universel du mal, là où les pacifistes, restant à la surface des choses, ne voient qu’un problème à résoudre.

Le mal est «systémique», pour reprendre une notion issue du wokisme. C’est-à-dire qu’il existe, au moins en puissance, en tout homme. Les chrétiens parlent de «péché originel». Là gît le mystère du mal et de son universalité: la révolte originelle de la créature contre le Créateur et l’éloignement néfaste qui en est résulté. Tant que durera cet éloignement, il rendra nécessaire le recours proportionné à la force.

Mais cette solution de moindre mal, nécessaire dans le domaine politique, est insuffisante sur le fond. La seule réponse pleine et entière, non moins universelle et non moins mystérieuse que le mal, c’est le sacrifice du Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui prend sur lui tout le mal du monde, meurt en croix et ressuscite le jour de Pâques, aujourd’hui et depuis deux mille ans.

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