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Ravel

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2277 18 avril 2025

Dans les années 1960, au sortir d’un concert où l’OCL avait interprété Ma Mère l’Oye, nous étions sous le charme du Jardin féerique et M. Regamey nous disait en substance: quel bonheur ont ressenti les auditeurs à la création de cette pièce, alors que les nouveautés d’aujourd’hui nous font endurer tant de pénibles dissonances! Et quelques jours plus tard, il écrivait dans notre journal que Ravel entrait ainsi dans son «éternel printemps».

Alors que nous célébrons les 150 ans de sa naissance, c’est en effet toujours le printemps pour l’œuvre de Maurice Ravel, qui n’a, semble-t-il, pas connu le «passage du désert» que d’autres subissent quelque temps après leur disparition. Car sa musique est le plus souvent d’un accès aisé et d’une écoute agréable, quand bien même elle sait être subtile et savante. Et pourtant, il subsiste quelque chose d’insaisissable chez ce compositeur dont l’art ménage d’étonnants contrastes.

Car il est novateur dans sa volonté de ne jamais composer deux fois la même chose, dans sa recherche permanente de sonorités instrumentales inédites, dans son intérêt pour les rythmes du jazz naissant qui animent certains mouvements de ses compositions. Mais son style, reconnaissable entre tous, n’a au fond pas changé depuis les premières œuvres notoires, par exemple – pour celles que nous connaissons – le Menuet antique (1895) ou la Pavane pour une infante défunte (1899) jusqu’aux dernières créations de 1932.

Quel style? Celui d’un classique par sa mesure et son soin du bon goût. Mais en même temps, quelle opulence orchestrale, qui fait éclater tous les cadres traditionnels, quelle fantaisie dans le choix des genres et quelle force d’invitation au rêve!

Les formes mêmes de ses œuvres témoignent d’une grande variété d’inspiration. Ravel affectionne les danses anciennes ou traditionnelles, menuets, forlane, rigaudon, boléro (cette danse date du XVIIIe siècle), valses. Mais il se tourne aussi vers le poème symphonique, autrement plus libre, et s’avance en territoire vierge avec ses deux «opéras» (qu’on qualifierait plus justement de «divertissements scéniques»), L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges, qui ne ressemblent à rien de connu jusque-là.

L’œuvre n’est pas très abondante, avec une huitantaine de numéros, dont plusieurs perdus, ou incomplets, ou proposés inlassablement pour le concours du Prix de Rome (jamais décroché!); mais elle se développe dans tous les genres, hormis la musique religieuse: piano, duos, trio, quatuor, mélodies pour le chant, suites d’orchestre, concertos, théâtre. Et partout en nous offrant des chefs-d’œuvre.

Ravel, enfin, combine la séduction sensuelle avec l’intelligence. La séduction, avec des mélodies pimpantes ou langoureuses, des harmonies enchanteresses, des couleurs chatoyantes. L’intelligence, avec une faculté rare de modeler sa musique sur le caractère essentiel de son propos créateur: il évoque la vieille France comme si l’on vivait deux siècles en arrière, Madagascar comme si l’on était transporté sur ses rivages, et ses espagnolades sont plus espagnoles que l’Espagne elle-même! Sa pénétration ferait-elle donc de lui le prince des compositeurs «à la manière de»? C’est l’inverse; car, par le génie de l’artiste, toutes ces musiques, aux accents d’origine typiques, sont transmutées «à la manière de Ravel»!

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