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La colline grignotée

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2277 18 avril 2025

Les partisans de la décroissance répètent en boucle qu’il faut être «fou ou économiste pour croire que la croissance peut être infinie dans un monde fini». L’esprit d’initiative, la propension à repousser les limites connues, l’extension de sa sphère d’influence sont pourtant inscrites dans la nature humaine. Le principe vital rejaillit en faveur de la croissance.

Les partisans de la croissance accuseront à leur tour les décroissants de vouloir «revenir au Moyen-Âge et à la bougie», certains que les Trente Glorieuses représentent un horizon économique indépassable. Ils oublient à leur tour que la finitude caractérise tout autant notre condition. Le mythe de Prométhée ou le récit de Babel continuent de servir d’avertissement contre la tentation de se prendre pour Dieu.

L’une des faiblesses du débat est que la décroissance – qu’on la dénonce ou qu’on la vante – n’est souvent abordée que dans l’abstrait, parfois d’un point de vue planétaire, sans qu’un cadre ne soit apporté à l’une ou l’autre. Notre position est que ce cadre doit être national et communautaire, et que croissance et décroissance doivent s’apprécier à l’aune de ce que la communauté est à même de supporter. Le débat autour du Mormont permet de réfléchir concrètement à cet encadrement.

On se souvient de la très médiatisée «ZAD de la colline». Elle avait rassemblé contre une extension de la gravière le ban et l’arrière-ban des mouvements alternatifs d’Europe de l’Ouest.

Un comité «Sauvons le Mormont» a tôt repris le combat des zadistes. Cette alliance réunit les partis vaudois de gauche à Pro Natura et à l’Association pour la sauvegarde du Mormont. Le 1er juillet 2022, elle a fait aboutir une initiative constitutionnelle. Elle demande l’interdiction de toute exploitation du Mormont autre qu’agricole ou sylvicole et réclame que des matériaux respectueux de l’environnement remplacent le ciment dans la construction vaudoise.

Le Grand Conseil vient d’accepter les deux contre-projets proposés par le Conseil d’Etat. Il propose aux Vaudois d'inscrire dans la Constitution un autre article, promouvant le principe de l’économie circulaire dans la construction.

Simultanément, le Mormont bénéficiera d’un plan d’aménagement cantonal, comme Lavaux ou la Venoge. Il interdirait toute exploitation au-delà des autorisations déjà délivrées. Il confirmerait l’obligation faite au concessionnaire de combler la carrière, récemment imposée par le Tribunal fédéral1. Le plan directeur des carrières formalisera ces nouveautés.

Le Grand Conseil a aussi accepté un crédit de 1,1 million pour favoriser le réemploi et l’utilisation de matériaux durables dans la construction, en particulier dans les projets étatiques.

Le contre-projet cantonal est plus précis et structuré que l’initiative, mais n’en diffère guère sur le fond. Dans les deux cas, l’exploitation du Mormont arrivera à échéance et ne sera pas renouvelée: immédiatement avec l’initiative, dans quelques années avec le contre-projet. Le pivot en faveur d’une économie circulaire nous semble ressortir au pari. La marge de manœuvre de l’Etat ne dépasse pas ses propres projets de construction et d’infrastructure, bien que cela ne soit pas négligeable. Et l’exemplarité de l’Etat vaut mieux que son interventionnisme.

La colline du Mormont permet à Holcim de produire, selon l’entreprise, 700 000 tonnes de ciment par an – 800 000 selon l’exposé des motifs du Conseil d’Etat. Soit 20% de la consommation suisse, principalement absorbée en Romandie. Approximativement, le Mormont permet au Canton d’être autosuffisant en ciment. Cela mérite d’être signalé.

Un peu comme le portrait de Dorian Gray s’enlaidissait des turpitudes morales de son sujet, le Mormont offre aux Vaudois de voir leur paysage et leur patrimoine subir les conséquences de leur consommation de béton. Un pan de mur préfabriqué d’une nouvelle villa sur La Côte correspond à un certain volume de calcaire prélevé à Eclépens. Mais tout recours au béton n’est pas flétrissure et la comparaison avec le chef-d’œuvre de Wilde s’arrête ici: la communauté a besoin de bunkers, de viaducs et de quais de gare. Et ceux-ci ne peuvent être qu’en béton.

Le Mormont, ses orchidées et ses chamois ne sont pas les victimes d’une simple frénésie de la construction encouragée par des promoteurs avides. Cette frénésie a des causes, au premier chef desquelles la croissance démographique, qui enlaidit plus généralement nos paysages que les tirs de mines des artificiers d’Holcim.

L’initiative comme le contre-projet nous posent en réalité la question suivante: au nom d’un basculement souhaitable mais hasardeux en faveur d’une économie de la construction circulaire, sommes-nous prêts à renoncer à notre autosuffisance en matière de production de ciment? Le risque serait alors de continuer d’en consommer, tout en grignotant une autre colline, ailleurs, et en imposant nos choix politiques à d’autres mais surtout hors de notre vue. Ce qui serait le vrai début de l’irresponsabilité.

Notes:

1   TF, 1C_368/2020, consid. 3.3.4, du 21 décembre 2022.

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