La vraie démocratie existe-t-elle?
Récemment, nous avons présenté deux auteurs se réclamant de la vraie démocratie. Alain de Benoist la définit comme organique; elle consulte l’ensemble des citoyens d’une nation pour connaître l’avis de la majorité lors de l’élection des gouvernants ou d’un référendum.
Selon Ludivine Bantigny, la démocratie directe est le régime propre aux collectifs ouverts à tous, qui délibèrent et votent en vue d’actions révolutionnaires destinées à changer la vie.
De Benoist et Bantigny sont opposés au libéralisme capitaliste et à la démocratie représentative dont ils dénoncent la dérive oligarchique.
Chacun des deux auteurs se heurte à une difficulté. Alain de Benoist devra se demander qui sont les citoyens d’aujourd’hui. Ce ne sont plus les hommes en armes de la Landsgemeinde, à l’heure où enfantistes, animalistes et immigrationnistes réclament le droit de vote pour leurs protégés. Quant à Ludivine Bantigny, elle s’interrogera sur l’ouverture véritable des collectifs: les milieux populaires qui choisissent Marine Le Pen sont-ils dignes d’appartenir au collectif? Sinon quel sort leur réserver?
En tant que membre de la Ligue vaudoise, nous rejetons l’idéologie démocratique; pourtant nous remplissons notre devoir civique quand il s’agit de voter, d’élire les conseillers communaux, députés et conseillers d’Etat vaudois, ou les conseillers «nationaux» et les conseillers aux Etats.
Contradiction?
Nous vivons dans un pays prospère, en paix depuis 1848. La Suisse neutre ne ressemble pas aux terres de sang de l’Est européen ou du Proche-Orient. Nos gouvernements ne nous ont pas entraînés dans deux guerres suicidaires et ont empêché des conflits internes.
Dans une confédération de taille réduite, nous ne sommes pas si mal dirigés parce que la démocratie directe et le fédéralisme rectifient en partie les méfaits de l’idéologie égalitaire et partisane, grâce à l’exigence de la double majorité du peuple et des cantons.
La Ligue vaudoise ne recommande jamais un candidat de quelque parti que ce soit à une élection, mais elle donne des consignes pour les votations de façon à ce que la souveraineté vaudoise ne soit pas lésée. Nous respectons ces consignes parce nous savons que des personnes compétentes, de toute confiance, les ont élaborées dans le souci du bien commun vaudois.
En son cœur, la Ligue vaudoise n’est pas régie démocratiquement. Le président, responsable de l’action politique, décide après avoir consulté des personnes qui délibèrent sans recourir au vote majoritaire. La Ligue défend le pouvoir personnel. C’est ce qui nous attiré en son sein au début de l’âge adulte.
Aujourd’hui, mâle blanc de plus de cinquante ans, nous réfléchissons à notre parcours et nous constatons que le mode de décision démocratique y a joué un rôle minime. La démocratie partisane nous est restée étrangère. Nous n’avons jamais souhaité être élu à une tâche quelconque, nous n’avons pas quémandé des suffrages. Nous nous sommes contenté d’endosser les responsabilités auxquelles des chefs en qui nous avions confiance nous jugeaient dignes d’accéder.
Dès notre petite enfance, nous avons vécu dans des communautés hiérarchisées: une famille avec un père et une mère; la petite entreprise familiale avec un patron; l’école, ses instituteurs et ses professeurs; la paroisse et son pasteur; les sports pourvus d’entraîneurs et de «capitaines» d’équipe; l’armée et ses chefs; puis, professionnellement, les collèges et leurs directeurs, le Département de l’Instruction publique et des cultes avec des conseillers d’Etat qui nous convoquaient dans leur bureau pour nous rappeler notre devoir de réserve et nous reprocher notre esprit de rébellion face aux mutations inéluctables… Nous nous sommes accommodé de nos chefs, de la discipline, de l’autorité, des différences et des inégalités constamment présentes, éclatantes. Il fallait d’abord obéir pour apprendre à commander. C’est l’égalité démocratique qui détonnait. Nous étions moins à l’aise dans les assemblées, conférences des maîtres ou conseils de classe, où les décisions se prenaient à la majorité, où les orateurs se succédaient, où certains collègues, assis tout derrière ou tout devant, observaient quelle majorité se dessinait avant de lever la main; ces personnes se réchauffaient à l’opinion dominante… bien vaudoises en cela. Nous n’avons appartenu à aucun collectif horizontal où, dit-on, le chef est celui qui proclame: il n’y a pas de chef ici ! Notre révolte adolescente dans les années septante consistait à porter les cheveux courts, à ne pas rêver à un monde meilleur ou à l’égalité universelle. Nous nous sommes astreint à développer les dons reçus et à surmonter nos insuffisances criantes.
Peut-être avons-nous eu de la chance. Beaucoup de nos maîtres et de nos chefs militaires, du sous-of au commandant de corps, ont eu de l’autorité sur nous; ils nous ont permis de grandir, nous ont augmenté au sens étymologique du terme autorité.
Nous vivons dans un monde où inégalités et différences sont mal vues. On préfère l’égalité et la ressemblance. Seuls les sportifs et les artistes de haut niveau sont jugés admirables. L’inégalité de naissance est désormais tenue pour nulle, celle de la richesse est à la fois détestée et jalousée. L’idéologie démocratique égalitaire aplatit le monde, mais l’égalité n’est pas la justice. La démocratie elle-même subsiste quand elle reste immergée dans des configurations hiérarchiques qui l’empêchent de tout défaire en assurant un reste d’ordre et de discipline.
Les Cantons suisses sont légalement égaux en vertu de leur autonomie. Mais chacun sait que Zurich est plus riche et puissant que le Jura. Cela n’empêche qu’ils concourent tous deux, à leur mesure, au bien commun de la Confédération. Il en va de même pour les individus. Il appartient aux chefs, au delà de l’égalité légale, de découvrir les talents fort divers par lesquels les individus contribuent au bien de tous.
La vraie démocratie est supportable tant que des traits aristocratiques et monarchiques la rehaussent.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Des partenaires soupçonneux – Editorial, Félicien Monnier
- L’inégalité des revenus augmente-t-elle? – Jean-François Cavin
- Subterfuges financiers – C.
- Bureaucratie…! – Jean-Hugues Busslinger
- Occident express 131 – David Laufer
- Passé simple, 10 ans et 100 numéros – Yves Gerhard
- Le déterminisme woke – Olivier Delacrétaz
- CHUV: inventaire avant travaux – Vincent Hort
- Un droit évolutif – Olivier Klunge
- Cher Père Noël… – Le Coin du Ronchon