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Bureaucratie…!

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2271 24 janvier 2025

Qu’il semble loin le temps du slogan «il est interdit d’interdire!» cher au joli mois de mai 1968. Ceux-là mêmes qui l’adressaient avec jubilation à la face du bourgeois de l’époque ont évolué et on constatera que ce n’est pas dans le sens qu’ils se l’imaginaient. L’appétence au risque a disparu, l’appel à la norme est dans toutes les bouches ou presque, justifié par l’indispensable respect d’une sacro-sainte égalité. Et qui dit nouvelles normes implique aussi nouveaux contrôles, nouveaux préposés aux vérifications, nouvelles complications administratives.

On nous pardonnera un brin de schématisme, mais tout commence peut-être à l’école, lorsque le plus important n’est plus de trouver un résultat ou d’exprimer une idée, quitte à sortir du cadre, mais bien de respecter la consigne. Cet élément fait d’ailleurs l’objet d’appréciations: est bien noté celui qui se distingue non pas par un esprit libre ou une créativité accrue, mais bien par le suivisme d’une consigne pas toujours évidente. C’est ainsi que l’on formate les jeunes générations.

Normes nombreuses et pointillistes

On entend souvent dire que le bon sens a disparu, remplacé par des normes toujours plus nombreuses et toujours plus détaillées. Il est certes plus simple pour un agent de la main publique de se réfugier derrière un article réglementaire que de devoir apprécier une situation en son âme et conscience, a fortiori lorsque règne en maître la crainte de se tromper ou celle de se voir reprocher une appréciation peut-être audacieuse. On le sait, l’administration et le monde politique ne supportent pas l’erreur, surtout lorsque celle-ci se trouve ensuite fustigée par les médias et les réseaux sociaux. Dès lors, le recours aux normes pointillistes a tout de la solution miracle, mais c’est aussi la voie de la facilité. On ajoutera, pour faire bon poids, la propension des élus à vouloir pallier par une nouvelle norme le moindre dysfonctionnement de la société, même s’il s’agit d’un cas isolé.

Le rôle joué par les parlementaires de tous niveaux n’est pas anodin dans ce cadre. Guidés par l’exigence morale d’instaurer une égalité aussi parfaite que possible – chose plus difficile à concrétiser lorsque la norme est générale – le choix est vite fait: le détail prime sur la vue d’ensemble. On voit ainsi fleurir des lois fédérales, mais bien souvent aussi cantonales, de plus en plus détaillées qui, lorsqu’elles ne le sont pas suffisamment, se voient compléter par des règlements ou des directives d’application. La récente réglementation sur le patrimoine arborisé du Canton en est un bon exemple, mais gageons que la future loi sur l’énergie ne manquera pas de ressources en la matière. S’agissant des arbres, nous avons dorénavant une loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager (LPrPNP) accompagnée de son règlement (RLPrPNP); les communes devront édicter un règlement (bon prince l’Etat fournit un règlement type) et se soumettre à toute une liste de tâches obligatoires ou facultatives. On se doute bien que la gestion de l’ensemble nécessitera de renforcer les services administratifs tant cantonaux que communaux…!

Où est le bon sens ?

On se rappelle peut-être la jolie histoire de la remise à l’ordre de l’ex-service du développement territorial (SDT) par le tribunal cantonal vaudois (CDAP) (24 heures du 21 septembre 2021), lorsqu’une commune qui avait acquis une antique bergerie sise hors des zones à bâtir souhaitait, après avoir utilisé le terrain à d’autres fins, la mettre à disposition de l’apiculteur en charge de la miellerie communale. Pas question! considéraient les fonctionnaires du SDT: le changement d’affectation du bâtiment en «construction liée à l’agriculture de loisir» ne permettait pas de mise en conformité et, dès lors, le bâtiment devait être démoli. Heureusement le bon sens des juges est venu corriger les fonctionnaires qui en manquaient singulièrement… mais qui appliquaient avec zèle la réglementation.

Il est certes difficile de fustiger l’honorable fonctionnaire qui applique au mieux la réglementation, quitte à se réfugier derrière la formule «le règlement, c’est le règlement»! Il fait après tout son travail et souhaite éviter de froisser sa hiérarchie (pour le justiciable c’est parfois différent). On en voudra en revanche à cette hiérarchie, et plus largement aux membres des exécutifs, souvent à l’origine de la prolifération réglementaire. Car si le parlementaire a souvent tendance à trop entrer dans le détail, que dire des services administratifs qui sont en charge des projets de loi et de leur déclinaison réglementaire!

En admettant de laisser des marges d’appréciation aux organes exécutifs, on aurait avantage à s‘interroger en amont sur la nécessité et l’utilité d’édicter une nouvelle norme, ainsi que sur le degré de perfectionnisme qu’elle devrait requérir, tout en ayant à l’esprit qu’en la matière la retenue, voire l’abstention, sont souvent de bonne politique.

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