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Occident express 131

David Laufer
La Nation n° 2271 24 janvier 2025

La foule qui rentrait lentement dans l'église Saint-Marc, tout près de chez moi, avait attiré mon attention. A cause du décalage du calendrier julien, j'avais oublié que c'était l'Epiphanie. Piqué de curiosité, j'ai pénétré dans le vaste édifice. Restant sur le côté, j'ai longuement observé le défilé des fidèles, écouté les chants et tenté de comprendre la liturgie. La perfection de l'organisation était manifeste. Chacun, fidèle, pope ou chantre, connaissait son rôle, sa place et ceux des autres. Les orthodoxes, un peu comme les juifs, rentrent et sortent et se déplacent constamment à travers le temple. On se signe, on embrasse l'icône, on va allumer un cierge, on reste debout et on chante, mais chacun à son rythme. Ne s'assoient sur les côtés que ceux qui ne peuvent rester debout. C'est une sorte de ballet auquel on assiste, presque silencieux, sans aucun heurt, sans aucune hésitation, et dont tous les participants rivalisent de révérence les uns envers les autres. Pour y parvenir, personne ne donne d'ordre ou même de consigne. Ici pas de curé qui fait signe à son audience de se lever. Le décalage entre ce qui se passait entre les murs de cette église et ce qui se passait au-dehors m'est soudain apparu, d'une façon si nette qu'elle en était insupportable. A l'extérieur on observe une négligence généralisée, de la violence dans tous les rapports sociaux, des abus de pouvoir systématiques, c'est-à-dire une société éclatée, en conflit permanent avec elle-même. A l'intérieur, les mêmes acteurs étaient soudain transformés, civils, respectueux, apaisés et conscients de leur place au sein de la communauté. En miniature, ces fidèles et ces popes représentaient l'idéal social le plus élevé, celui d'une gestion collective horizontale et verticale à la fois, dénuée de conflit et de friction, où chaque individu demeurait un individu tout en formant un groupe harmonieux. Lorsque j'étais chrétien fidèle et pratiquant, les mêmes idées m'avaient traversé l'esprit, mais jamais avec la même acuité. Les religions constituées ont partout perdu du terrain et il n'est pas farfelu d'imaginer la disparition pure et simple d'une ou plusieurs d'entre elles dans les décennies qui viennent. Celles-ci s'opposent en effet, toutes, par la nature même de leur proposition, aux formes dominantes et conquérantes du capitalisme libéral moderne. Et partout également, ces religions constituées se sont rendues coupables de crimes que rien ne peut pardonner, dont la noirceur est insondable. Ce qu’il en reste aujourd'hui, au-delà de la majorité de l'histoire de l'art mondiale et de l'alphabétisation de la planète, ce sont ces témoignages disparaissant de la nature humaine dans sa plus noble et sa plus intelligente manifestation.

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