Décroissance à géométrie variable?
On entend, dans le débat public ainsi que dans les médias, nombre de voix appeler à la décroissance, sans d’ailleurs décrire précisément ce qu’il faut entendre par là. Sous le sceau de l’urgence écologique et de l’impérieuse nécessité conséquente de réduire l’émission de gaz à effet de serre, les thuriféraires de cet appel incitent à modifier en profondeur nos comportements. Cela passe par le renoncement à la viande et bientôt aux produits laitiers, l’usage exclusif des pieds pour les déplacements (quelques trajets plus longs en transports publics seront éventuellement tolérés), la consommation de proximité et l’utilisation du bois domestique pour le chauffage, lorsque le forage d’une pompe à chaleur n’est pas possible… On nous pardonnera de raccourcir l’énumération. Les domaines concernés par cette décroissance sont nombreux, si nombreux que l’on peut se demander quel est en réalité le but ultime de la démarche: inciter à lutter contre le changement climatique ou révolutionner le système économique en lui-même. Cette approche n’est pourtant pas exempte de contradictions.
Même dans des milieux traditionnellement au fait des réalités économiques, on note que le front n’est pas uni: des voix discordantes se font entendre. La tendance est à opposer économie domestique (vertueuse) et économie mondialisée (diabolique), économie de proximité et économie d’importation (même en provenance des pays voisins), économie réelle ou économie financière.
Un certain romantisme…
Sans aller jusqu’à préconiser, par souci de cohérence, de traire sa propre vache, coudre ses vêtements ou revenir au troc à grande échelle, admettons que peu d’entre nous se fournissent exclusivement auprès de petits commerces ou sur les étals de nos marchés. Moins encore renoncent à tout produit chimique ou matière synthétique. Si l’on peut regretter le village d’antan, il serait aussi judicieux que les penseurs de la décroissance s’interrogent sur ce que la croissance a permis – souvent à l’initiative de leur bord politique. Parmi ceux-ci, on citera un filet social en constant développement – au profit des aînés ou des défavorisés – accompagné d’une forte croissance des prestations de toutes sortes assumées partiellement ou entièrement par la solidarité financière réelle, entendez par l’impôt, le développement des infrastructures, de l’offre culturelle, etc.
L’augmentation de la population, son vieillissement et les changements structurels internes à l’économie ont fait profondément évoluer la donne. Chacun, c’est évident, aspire à un salaire décent propre à permettre d’assumer ses charges… mais il faut pour cela que le tissu économique puisse produire, créer ou vendre suffisamment de biens ou de services pour générer ces salaires. Chacun, s’il lui arrive un malheur, aspire à bénéficier de la solidarité commune, corporative autant que possible, par des allocations de chômage, d’invalidité ou d’accident… mais il faut pour cela que l’économie génère suffisamment de cotisations. Chacun aussi espère bénéficier de rentes suffisantes une fois l’âge venu de quitter le monde du travail… mais il faut pour cela qu’un nombre suffisant d’actifs versent leurs cotisations au niveau adéquat et que la finance génère suffisamment de moyens pour verser les deuxième ou troisième piliers.
… guère troublé par de nombreux paradoxes
On accordera à ceux qui appellent à la décroissance ou la soutiennent d’être majoritairement de bonne foi, portés par l’inquiétude de l’avenir et des générations futures. On sera cependant en droit d’attendre qu’ils ne se limitent pas à la seule réduction de la voilure économique mais proposent des solutions pour faire en sorte que le filet social ne se racornisse pas, que l’augmentation de l’âge de la retraite ne soit pas inéluctable ou que le chômage de masse ne retrouve pas droit de cité. La seule éventualité de «faire payer les riches» (qui au demeurant ne le seront bientôt plus ou auront déserté le pays) ne saurait suffire. Quant à espérer que la main publique, Confédération, Cantons ou Communes, pourra y subvenir, l’approche est à tout le moins utopique, sinon coupable: l’impôt ne peut croître indéfiniment.
On relèvera pour conclure que l’appel à la décroissance émane le plus souvent des mêmes milieux qui exigent toujours plus de prestations, toujours plus de gratuité, qui poussent de hauts cris lorsque l’inflation repart à la hausse et qui crient au démantèlement de l’Etat social à la moindre velléité de réduire coûts ou subventions. Cherchez la logique!
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La langue du troisième Reich – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Communes: un regard du bout du Lac – Revue de presse, Rédaction
- Le platisme et la décroissance – Jean-François Cavin
- L’identité suisse au défi – Jean-Baptiste Bless
- Suppression de la valeur locative: un marché de dupes? – Antoine Rochat
- Ordre et Liberté: réponse à M. Philippe Leuba – Colin Schmutz
- Dépenses de personnel de la Confédération – Jean-François Cavin
- C’est la guerre, toujours – Jacques Perrin
- Les aborigènes au pouvoir – C.
- Un chef de l’Armée ne devrait pas dire ça – Le Coin du Ronchon