L’histoire selon Bainville
Jacques Bainville commençait l’avant-propos de son Histoire de France, publiée il y a cent ans, en confessant qu’enfant il n’aimait pas l’histoire: «On ne lui [lui-même] avait jamais dit, ou bien on ne lui avait dit que d’une manière convenue et insuffisante, pourquoi les peuples faisaient des guerres et des révolutions, pourquoi les hommes se battaient, se tuaient, se réconciliaient. L’histoire était un tissu de drames sans suite, une mêlée, un chaos où l’intelligence ne discernait rien.»
Cependant, ajoutait-il, on a vite «besoin d’un fil conducteur, où l’on soupçonne que les hommes d’autrefois ressemblaient à ceux d’aujourd’hui et que leurs actions avaient des motifs pareils aux nôtres. On cherche alors la raison de tout ce qu’ils ont fait et dont le récit purement chronologique est insipide ou incohérent.»
Voilà pourquoi il disait plus loin avoir voulu dégager les causes et les effets, «ce qui nous paraît le plus intéressant et le plus utile, ce qui anime l’inerte matière historique, ce que nous nous efforçons de dégager à chaque page: l’explication des faits».
Sa méthode était l’empirisme organisateur, venu de Sainte-Beuve et de Maurras. Il s’agit de partir de l’étude et de la compréhension du passé pour comprendre le présent, agir sur les événements et envisager l’avenir. Tirer de l’expérience historique un principe d’action et d’organisation. L’histoire était pour lui un laboratoire à l’usage de l’homme politique. L’étude des précédents historiques permet aussi de dégager des constantes, des sortes de lois.
Trois lois générales pouvaient d’ailleurs se détacher. La loi des conséquences; tout a une conséquence, l’action et l’inaction. Des causes similaires ont probablement des effets similaires. La loi de la dépendance; nous dépendons de ce qu’ont fait les générations précédentes. Enfin la loi de l’oubli, qui est l’une des plus grandes capacités des peuples, qui passent à autre chose. Ce qui explique que le métier d’homme politique consiste en grande partie à connaître l’histoire, afin de lutter contre cette tendance.
Sainte-Beuve lui transmit aussi son goût pour l’étude psychologique. Bainville écrivit de nombreux portraits et biographies. Dans l’avant-propos déjà cité, il écrivait que l’histoire était de la psychologie, et aussi de la politique, «ce qui revient un peu au même».
Une méthode plus originale était son usage de l’uchronie (l’histoire avec des «si»), pour imaginer ce qu’il aurait été possible ou souhaitable de faire, en se replaçant dans le contexte de l’époque, oubliant la suite réelle des événements. Il importe ici de souligner que Bainville rejetait le déterminisme et accorda toujours une importance à la liberté humaine.
Plus largement, sa vision de l’histoire était cyclique, dans un enchaînement de décadences, puis de renaissances suivies de nouvelles décadences et ainsi de suite.
Enfin, dans sa manière d’écrire les récits historiques, Bainville fit toujours œuvre de pédagogie, pour simplifier les enchaînements complexes – la tâche de l’historien était d’abréger, sinon l’histoire serait aussi longue à raconter qu’à se dérouler – et exposer l’histoire au plus grand nombre, permettant notamment de populariser la politique de la monarchie.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Quelques acteurs de la démocratie directe – Editorial, Félicien Monnier
- Le soleil noir de Bernanos – Lars Klawonn
- De mystérieux tirs – Benjamin Ansermet
- Occident express 128 – David Laufer
- La signature – Olivier Delacrétaz
- Les lunettes de Bourdieu – Quentin Monnerat
- Coupes indispensables – Jean-François Cavin
- La pire des pyramides – Le Coin du Ronchon