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Nous avons les conséquences

Jacques Perrin
La Nation n° 2261 6 septembre 2024

Depuis le début des années septante, sur le front scolaire, le principe d’égalité inspire la politique, en dépit des inégalités, différences et hiérarchies qui subsistent sur les arrières et empêchent un désordre illimité.

L’ordre, c’est l’organisation judicieuse des différences; le désordre, c’est l’uniformisation que produit l’égalité. La disparition de multiples différences est envisagée: entre l’homme et la femme, l’être humain et l’animal (et aussi le robot), le patron et l’apprenti, le maître et l’élève, les parents et leurs enfants, les gouvernants et les gouvernés, les handicapés et les personnes valides. Chacun a le droit de devenir ce qu’il veut.

A l’école, que M. Borloz (PLR) succède à Mmes Lyon et Amarelle (PS), que Mme Hiltpold (PLR) prenne la place de Mme Torracinta (PS) à Genève, l’égalité, appelée aussi inclusivité, mène le bal.

Dans 24 heures du 19 août, Mme Francine Jeanprêtre, ancienne conseillère nationale socialiste puis conseillère d’Etat en charge de l’instruction publique, prend la défense des maîtresses s’occupant d’élèves de 4 à 6 ans, qui s’usent à la tâche. On ne trouve presque aucun homme aux degrés 1P à 3P, ce qui donne à Mme Jeanprêtre l’occasion de rager contre les stéréotypes: il faudrait donc 50% de mâles pour que le métier soit pris au sérieux?

Certains enfants sont perturbateurs, gravement indisciplinés, crient et font des crises de colère; d’autre souffrent de handicaps comme l’autisme et l’hyperactivité. A ces enfants, l’éducation fondamentale fait défaut, de sorte qu’il est difficile de leur apprendre à lire, écrire et compter.

Et les parents? Certains sont indifférents, estimant que c’est le rôle de l’école d’éduquer tous les enfants. D’autres sont dépassés ou absents. Mme Jeanprêtre oublie les parents querelleurs qui veulent imposer aux enseignants une manière cool et sympa d’éduquer, sans punir. Selon Mme Jeanprêtre, il faut ouvrir le dialogue et recourir à des thérapeutes. On ne reviendra pas sur le concept chéri d’école inclusive qui, paraît-il, a fait ses preuves. C’est un bon modèle s’il est bien appliqué. Tous les parents et enseignants seraient d’accord sur ce point et il n’est nul besoin de s’interroger. Seulement l’institution n’intervient pas assez pour aider ses employés. Elle réfléchit, s’occupe de tout, mais il faut être patient, comme l’affirme le ministre vaudois en fonction. Les enseignants se découragent et tombent malades. Selon Mme Jeanprêtre toujours, on manque de moyens alors que ces dernières années les finances de l’Etat ne se sont jamais aussi bien portées. L’école est prise en étau entre l’économie qui exige des jeunes bien formés, les familles éclatées et la société qui offre aux tout-petits des images violentes. En outre, le métier d’enseignant n’est pas respecté; les vocations pédagogiques diminuent. Mme Jeanprêtre en conclut que le mandat de l’école publique, l’égalité des chances, n’est pas rempli. On construit de plus en plus d’écoles pour fermer des prisons (Ah! Victor Hugo), en oubliant que les écoles ne sont pas seulement des murs, mais qu’elles abritent des personnes, élèves et enseignants.

Quant à nous, nous constatons que les prisons ne ferment pas, bien au contraire. Nous avons enseigné plus de 35 ans et nous entendons toujours les mêmes discours. Dans un numéro récent de 24 heures, un chercheur bernois affirme qu’il faut éviter toute sélection dans l’école publique parce que l’accès à l’Université, Graal absolu, reste un privilège des enfants de familles universitaires. Il faut plus d’égalité, plus de moyens. Dans l’idéal idéologique moderne, cette exigence ne se discute pas, mais plus on prétend la satisfaire, plus l’égalité s’éloigne.

Est-ce le bon objectif? Non. L’école, dans sa poursuite incessante de l’égalité, est vouée au désordre. Elle subit les conséquences de l’égalitarisme, rébellion maladroite contre le réel différencié et hiérarchique, négation de l’autorité qui comprend aussi le pouvoir de punir. Durant toute notre carrière, nous avons entendu le précepte selon lequel un bon maître ne punit jamais. C’est faux.

Comment l’école pourrait-elle obtenir le soutien des familles que l’exigence d’égalité et l’individualisme consumériste détruisent à petit feu? En régime égalitaire et individualiste, l’école ne peut survivre. On y lutte contre le désordre en révérant les causes du désordre.

L’institution se transformera en centre de soins d’une part et en dispositif technique d’autre part, visant à délivrer des compétences grâce aux robots, aux écrans et à l’intelligence artificielle, avec le moins d’interactions humaines possible.

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